Louis-Paul Ordonneau
"Toute image est le récit d'un regard posé sur quelque chose".
C'est ainsi que David Hockney introduit son livre-discussion "Une histoire des images" avec Martin Gayford.
Mais quoi penser de l'image si le regard est celui d'un mal voyant? Et si il n'y a pas de récit? Une image rétinienne pure existe-elle sans persistance? Peut-on faire le récit de rien avec une image de rien? Ces petits jeux de sens autour de l'équation-définition de ce qu'est une image par David Hockney résonnent plus que jamais en ce début d'année 2023.
Détaché des remous de l'actualité dans ma pratique artistique, je suis porté par une recherche introspective que je nomme "abstraction lyrique". Or j'ai été particulièrement choqué par la violence des images des différentes manifestions en France depuis ce début d'année. Il n'y a qu'à taper "manifestation réformes retraites 2023 " dans l'onglet de recherche de google images pour s'en rendre facilement compte en quelques scrolls.
Pourtant, à en observer les réactions autour de moi en montrant les images des événements sur mon smartphone, les images sont décrites comme banales, classiques, déjà vues, habituelles, quotidiennes. Pour s'en rendre compte, en 2020, une photo d'Anne-Christine Poujoulat / AFP avait choqué l'opinion publique. En 2023 les photographies aussi violentes sont presque légions. Or il est peu probable que cela soit parce que le nombre de photographes sur les manifestations ait décuplé ou que leurs appareils soient devenus mille fois plus rapides pour saisir les instants décisifs. La violence est simplement naturellement plus présente. Des chiffres: Le nombre de victimes de coups et blessures volontaires enregistrés par la police et la gendarmerie nationales s'élève à 353 600 en 2022. Il s'accroît de 15 % en 2022 par rapport à 2021. source.
Comme si la digitalisation des informations, fantastique pour les possibilités de partage, annihile le sens des images. Comme si les images sont diluées dans le volume et leur récit alors neutralisé. Cela donne presque raison à BMPT ! C'est plus simple un monde simplifié...
Ne plus savoir identifier les violences et les accepter, c'est le risque couru pour nos libertés. Serait-ce le signe d'une résignation globale et non pas une décivilisation comme certains le clament? La peur qu'on puisse un jour se laisse aller à ne plus voir les images, à devenir des rhinocéros, me fait changer ma peinture, vers une figuration plus présente, pour interroger sur ce qu'est l'image aujourd'hui. Rien de nouveau au plus profond mais en fait tout est à réapprendre et vite !
On m'a dit que je faisais maintenant des peintures violentes...faut-il une peinture inspirée par une photographie pour prendre conscience de la réalité ? Grâce aux photographes qui vont sur le terrain, uniquement protégés de leur carte de presse quand ils en ont une, il faut célébrer ce réel qu'on ne sait plus voir.
Réalité n'est pas vérité. Les photographies sont subjectives donc elles sont mensonge ! Ne nous trompons pas, le mensonge n'est pas dans la prise de vue. Maintenant il y a les images générées par intelligence artificielle, elles aussi hyper-violentes sous leur apparence d'innocentes blagues potaches. On se souvient des images d'Emmanuel Macron sur des poubelles. Ces images informatiques deviennent à terme des images souvenirs dans nos cerveaux. On a vécu de les avoir vues. Or le souvenir du vécu est à terme le souvenir d'un moment "vrai" transformant mécaniquement ces images en document du réel. Alors elles aussi je vais les peindre mais ce sera pour montrer leur réalité, celle de ne pas exister, sinon de rappeler le mensonge qu'elles sont.
Je vais aussi produire des peintures de souvenirs qui auraient pu exister, issues de mon imaginaire et de cette année 2023. Je vais aussi "construire" des images pour rappeler que faire c'est rester dans le réel. Il faut se rappeler le sens du commentaire de Franck Cappa sur sa photographie du soldat républicain tant critiquée : "l'idée était plus importante que la photographie".
En peinture, on ne peut pas mentir. Dans la mélasse de l'huile qui les composent, accrochées à la toile, fixées sur des chassis en bois lourd, les images en peinture sont un concret bien réel qui peut vous fracasser le crâne ou vous transpercer les chairs. Il est temps de revenir au concret. Il est aussi temps de rappeler que depuis toujours la peinture et la photographie disent le réel.